Clotilde Leguil, Gilles Marmasse et Anne Simon | La nuit, ce monde entre les jours : la digestion des jours | Avec philosophie | Géraldine Mühlman prod. | France Culture | 26 déc. 2024
« La nuit, ce monde entre les jours ¾ : la digestion des jours », Avec philosophie, prod. Géraldine Muhlmann, France Culture, 26 décembre 2024.
La nuit, nous élaborons ce que le jour a laissé en nous, un processus d’assimilation qui efface certaines émotions pour préparer une nouvelle journée. Freud compare cela à une digestion des rêves, et Hegel voit dans la pensée rationnelle une forme de digestion nocturne du jour écoulé.
Avec
- Clotilde Leguil Philosophe et psychanalyste de l’Ecole de la Cause freudienne
- Gilles Marmasse Professeur de philosophie à l’université de Poitiers
- Anne Simon Chercheuse en littérature française, directrice de recherche au CNRS
L’idée d’une élaboration nocturne à partir des matériaux accumulés durant la journée est un thème récurrent en littérature, philosophie et psychanalyse, suggérant que nos expériences conscientes et inconscientes du jour nécessitent un processus d’assimilation durant le sommeil. Ce processus, assimilable à une “digestion” psychique, permet non seulement de traiter ces expériences, mais aussi d’effacer ou de recouvrir certaines émotions, un oubli partiel essentiel pour aborder une nouvelle journée. Freud évoque cette métaphore à propos du rêve, tandis que Wilfred Bion, psychanalyste anglais du XXᵉ siècle, en développe l’idée en considérant le psychisme comme une machine à digérer, un processus initié dès la petite enfance avec l’apprentissage des rythmes alimentaires. Ainsi, comme le suggère Hegel, même la pensée rationnelle peut être perçue comme une forme de digestion nocturne du jour écoulé, une idée que nous allons explorer davantage.
Le rêve comme gardien du sommeil
Comme l’explique Clotilde Leguil, “pour Freud, ce qui se produit dans un rêve à voir à la fois avec ce qui s’est produit le jour, parfois la veille, mais aussi avec un passé bien plus lointain, avec l’infantile”. Ainsi, “il y a quelque chose de l’ordre de ce qui n’a pas été digéré dans l’existence (…) et qui nous permet à chacun, en tant que rêveur, d’avoir accès à quelque chose d’énigmatique sur notre enfance, sur ce qui nous est arrivé, ce qu’on n’a pas pu peut-être assimiler“.
Proust, l’écrivain comme rêveur
Comme l’indique Anne Simon : “On trouve énormément de rêves chez Proust, notamment dans À la recherche du temps perdu. Il y a, par exemple, un moment où il parle du rêve comme d’un voyage sur un Léthé intérieur, une sorte de fleuve infernal de l’oubli où se joue la question de la sauvegarde du temps, de la mémoire, des jeux, de l’oubli, du deuil et de l’absence“. Ainsi, “le sommeil est un écrivain mais, surtout chez Proust, un jardinier”.
À lire
Hegel et la chouette de Minerve
Dans ses Principes de la philosophie du droit, Hegel utilise l’image de la chouette de Minerve. Pour Gilles Marmasse : “Ce qui intéresse Hegel, ce sont les contrastes”. Ce contraste se déploie en trois temps : “Le temps initial, associé à la contemplation du lever du soleil, est le temps du commencement de l’activité de l’esprit“. Ensuite, “le deuxième temps, c’est celui du plein soleil. C’est le moment du travail, un travail qui permet à l’individu de se réaliser“. Enfin, vient “le moment véritablement intéressant, valorisé dans ce texte : c’est le soir”, qui est le temps de la “méditation“.
Pour en parler
Clotilde Leguil, professeure au département de psychanalyse de Paris 8 Saint-Denis, philosophe, et psychanalyste de l’Ecole de la Cause freudienne. Elle est à l’origine de la série de podcasts “Ce que disent les rêves” sur France Inter. Elle a publié :
Gilles Marmasse, professeur de philosophie à l’université de Poitiers, spécialiste de l’idéalisme allemand, en particulier de Hegel, et de philosophie de l’histoire. Il a publié :
- Hegel, une philosophie de la réconciliation, Ellipses, 2018.
- L’histoire hégélienne entre malheur et réconciliation, Vrin, 2015 (livre issu de son HDR).
- Force et fragilité des normes. Les Principes de la philosophie du droit de Hegel, PUF, 2011 ; réédition en format poche Vrin, 2019.
- Le négatif au travail. Hegel et la raison en devenir, Hermann, 2018.
- Penser le réel. Hegel, la nature et l’esprit, Éd. Kimé, 2008.
Anne Simon, normalienne, agrégée de lettres modernes, directrice de recherche au CNRS et professeure à l’ENS. Elle est aussi responsable du Centre international d’étude de la philosophie française contemporaine. Elle a notamment publié :
- La Rumeur des distances traversées. Proust, une esthétique de la surimpression, Classiques Garnier, 2018.
- Trafics de Proust. Merleau-Ponty, Sartre, Deleuze, Barthes, Paris, Hermann, 2016.
Références sonores
- Extrait du film La Maison du docteur Edwardes (Spellbound), réalisé par Alfred Hitchcock, 1945
- Lecture par Nicolas Berger d’un extrait de Hegel, Principes de la philosophie du droit (1820), Préface, trad. J.-F. Kervégan, Paris, PUF, rééd. 2013, p. 134
- Extrait du film Mulholland Drive, réalisé par David Lynch, 2001
- Jean Giono, “Promenade de la mort et départ de l’oiseau bagué le 4 septembre 1939”, dans L’Eau vive, recueil de nouvelles et de courts textes publié en 1943
- Lecture par Nicolas Berger d’un extrait de Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire (de 1805 à 1830, Hegel donne 9 séries de cours sur l’histoire de la philosophie), trad. J. Gibelin, Vrin, rééd. 1998, p. 82.
- Lecture par Nicolas Berger d’un extrait de Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, 1920-1921 (tome III de A la recherche du temps perdu)
- Chanson en fin d’émission : “Entrez dans le rêve” de Gérard Manset (1984)
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Anne Simon (26 décembre 2024). Clotilde Leguil, Gilles Marmasse et Anne Simon | La nuit, ce monde entre les jours : la digestion des jours | Avec philosophie | Géraldine Mühlman prod. | France Culture | 26 déc. 2024. PhilOfr. Consulté le 16 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zux